TUE, 14/03/2018, T-651/16
CROCS INC. / EUIPO
Lien vers la décision (URL) :
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=200246&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4464889Apport de la décision :
Il est question du dépôt, en 2004, d’un DMCE pour un sabot en plastique par la société Crocs Inc.. Sa validité est remise en cause par la société GIFI, qui considère que ce modèle n’était pas nouveau au moment de son dépôt.
En effet, ce modèle aurait déjà été divulgué au public à trois reprises plus d’un an avant la date de priorité revendiquée du modèle, à savoir :
- Lors d’un salon nautique international en Floride
- Via le site Internet de la société CROCS où le modèle de sabot aurait été mis
- Lors de la mise en vente de 10 000 paires par plusieurs revendeurs aux Etats-Unis
Si CROCS ne conteste pas ces faits, cette société considère toutefois qu’il ne s’agit pas de divulgations destructrices de nouveauté dans la mesure où elles ne pouvaient avoir été raisonnablement connues des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’UE dans la pratique normale des affaires. Ces divulgations ayant eu lieu sur le territoire américain, elles n’auraient donc été portées qu’à la connaissance du public américain.
Au contraire, pour le TUE, il s’agit bien de divulgations destructrices de nouveauté pour les raisons suivantes :
- Concernant le salon nautique : il s’agissait d’un salon international et CROCS n’a pas été en mesure de prouver qu’il était impossible que des professionnels du secteur provenant de l’UE y aient participé ou aient eu connaissances des produits présentés lors de ce salon
- Concernant la mise en ligne des produits sur le site Internet : CROCS ne rapporte pas la preuve que ce site était inaccessible aux internautes spécialisés résidant en UE
- S’agissant de la mise en vente des modèles aux Etats-Unis : dans la mesure où elle a eu lieu par un très grand nombre de distributeurs/revendeurs dans de très nombreux Etats, il est improbable qu’elle soit passée inaperçue des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’UE.
Images du modèle invoqué / dont la validité est en jeu :
Décision parue ou commentée dans :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/annulation-du-dessin-de-crocs-du-fait-de-sa-divulgation-anterieure
Texte (ou extrait) de la décision :
– Sur la preuve de la divulgation
[…]
50 Les parties ne contestent pas ces constatations. Le Tribunal relève en particulier que la requérante ne conteste pas la matérialité des trois faits de divulgation retenus par la chambre de recours, à savoir l’exposition des sabots correspondant au dessin ou modèle contesté sur le site Internet de la requérante, l’exposition de ces sabots au salon nautique de Fort Lauderdale ainsi que le fait que lesdits sabots étaient disponibles à la vente via un réseau de distribution et de revente, ni que ces faits se sont produits avant le début de la période pertinente.
51 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que la présomption prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 s’applique indépendamment de l’endroit où ont eu lieu les faits constitutifs de la divulgation, car il découle de la première phrase de cet article qu’il n’est pas exigé, pour qu’un dessin ou modèle soit réputé avoir été divulgué au public aux fins de l’application des articles 5 et 6 de ce règlement, que les faits constitutifs de la divulgation aient eu lieu sur le territoire de l’Union (arrêts du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, point 33 ; du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 27, et du 15 octobre 2015, Pièce de porte, T‑251/14, non publié, EU:T:2015:780, point 29). En effet, l’article 7 paragraphe 1, première phrase, du règlement no 6/2002 vise une notion large de divulgation du dessin ou modèle, comme l’attestent les termes « rendu public de toute autre manière » (arrêt du 15 octobre 2015, Pièce de porte, T‑251/14, non publié, EU:T:2015:780, point 30).
52 Dans ces circonstances, c’est à bon droit que la chambre de recours a constaté que, de par ces trois faits de divulgation, même s’ils ont eu lieu en dehors du territoire de l’Union, au moins pris dans leur ensemble, le dessin ou modèle contesté a été « exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière » avant le début de la période pertinente, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.
– Sur la preuve du fait que, dans la pratique normale des affaires, les milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union ne pouvaient raisonnablement connaître les faits de divulgation
53 À titre liminaire, il convient de rappeler que, s’agissant des milieux spécialisés du secteur concerné à prendre en compte en l’espèce, la chambre de recours a considéré, au point 64 de la décision attaquée, qu’ils étaient constitués des professionnels de la vente et de la fabrication de chaussures. Les parties ne contestent pas cette constatation.
54 En vertu de la jurisprudence rappelée au point 49 ci-dessus, une fois démontré, comme en l’espèce (voir point 54 ci-dessus), que le dessin ou modèle contesté a été exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière avant le début de la période pertinente, il est présumé que ledit dessin ou modèle a été divulgué au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et il incombe à la partie qui conteste la divulgation, en l’espèce la requérante, de réfuter cette présomption en démontrant à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits fussent connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires.
55 Il ressort de la jurisprudence que la question de savoir si les personnes faisant partie des milieux spécialisés du secteur concerné pouvaient raisonnablement avoir connaissance d’événements s’étant produits en dehors du territoire de l’Union est une question de fait dont la réponse dépend de l’appréciation des circonstances propres à chaque affaire (arrêts du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, point 34, et du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 28).
56 Toujours selon la jurisprudence, aux fins d’apprécier si, dans la pratique normale des affaires, les faits de divulgation ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, il convient d’examiner la question de savoir si, sur la base des éléments factuels qui doivent être fournis par la partie qui conteste la divulgation, il y a lieu de considérer que ces milieux n’avaient réellement pas la possibilité de prendre connaissance des faits constitutifs de la divulgation, tout en tenant compte de ce qui peut raisonnablement être exigé de la part de ces milieux pour connaître l’état de l’art antérieur. Ces éléments factuels peuvent, à titre d’exemple, porter sur la composition des milieux spécialisés, leurs qualifications, coutumes et comportements, l’étendue de leurs activités, leur présence aux événements lors desquels des dessins ou modèles sont présentés, les caractéristiques du dessin ou modèle en cause, telles que son interdépendance avec d’autres produits ou secteurs, et les caractéristiques des produits dans lesquels le dessin ou modèle en cause a été intégré, notamment le degré de technicité des produits concernés. En tout état de cause, un dessin ne peut être réputé être connu dans la pratique normale des affaires si les milieux spécialisés du secteur concerné ne pourraient le découvrir que par hasard (arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 29).
57 En l’espèce, il y a lieu de rappeler que la chambre de recours a constaté trois faits de divulgation distincts (voir point 51 ci-dessus) et qu’il suffit que les milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union aient eu connaissance d’un seul de ces faits de divulgation pour que l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 soit inapplicable.
58 En premier lieu, il convient de relever que, dans la requête, la requérante se concentre sur un seul des trois faits de divulgation constatés par la chambre de recours, à savoir l’exposition des sabots auxquels avait été appliqué le dessin ou modèle contesté sur son site Internet, en faisant valoir que ledit site Internet n’était pas accessible, dans la pratique normale des affaires, aux milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union.
[…]
63 Par conséquent, les arguments invoqués par la requérante ne sont pas de nature à invalider la considération de la chambre de recours selon laquelle la requérante n’avait pas démontré que, dans la pratique normale des affaires, l’exposition sur son site Internet des sabots auxquels avait été appliqué le dessin ou modèle contesté ne pouvait raisonnablement être connue des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union.
64 En second lieu, concernant les deux autres faits de divulgation constatés par la chambre de recours, il est, certes, vrai que l’intégralité des preuves sur lesquelles s’est appuyée la chambre de recours afin de démontrer qu’une divulgation du dessin ou modèle avait eu lieu avant le début de la période pertinente proviennent du site Internet de la requérante. Cependant, c’est à juste titre que l’EUIPO souligne que, s’agissant de l’exposition des sabots auxquels a été appliqué le dessin ou modèle contesté lors du salon nautique de Fort Lauderdale et du fait que lesdits sabots étaient disponibles à la vente via un réseau de distribution et de revente, la chambre de recours a utilisé des éléments de preuve provenant du site Internet de la requérante dans le seul but de démontrer que lesdits faits, qui se sont déroulés en dehors de ce site Internet, avaient effectivement eu lieu.
[…]
66 À cet égard, en ce qui concerne le salon nautique de Fort Lauderdale, l’EUIPO affirme qu’il s’agit d’un important salon international dans le secteur nautique et qu’il est dès lors improbable que les professionnels de l’industrie de la chaussure de l’Union n’aient pu avoir connaissance du nouveau sabot conçu pour le sport nautique.
[…]
69 De plus, concernant ce troisième fait de divulgation, la requérante n’a apporté aucun élément de preuve de nature à réfuter la présomption de divulgation au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002.
70 Il s’ensuit que la requérante n’a pas prouvé à suffisance de droit que les trois faits de divulgation retenus par la chambre de recours, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, étant précisé qu’un seul fait de divulgation au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002 suffit pour conclure à l’absence de caractère nouveau du dessin ou modèle contesté.
71 Certes, la requérante a raison de soutenir qu’il ne saurait être attendu d’elle de prouver un fait négatif. Toutefois, loin de devoir prouver des faits négatifs, la requérante aurait pu apporter des preuves positives, portant, en l’espèce, par exemple, sur des données démontrant que, malgré le fait que son site Internet était accessible partout dans le monde, il n’était pas, en fait, consulté, ou très peu, par des utilisateurs provenant de l’Union, ou que le salon nautique de Fort Lauderdale n’avait pas été fréquenté par des exposants ou des participants provenant de l’Union, ou encore que le réseau de distribution et de revente des sabots auxquels a été appliqué le dessin ou modèle contesté n’était en réalité pas opérationnel et qu’aucune commande n’avait été passée via ce réseau.
72 Ensuite, dans la mesure où la requérante fait valoir une contradiction entre l’approche suivie dans la décision attaquée et celle retenue par la chambre de recours dans sa décision du 26 août 2013 dans l’affaire R 1195/2011-3, il suffit d’observer que la question traitée par la chambre de recours dans ladite affaire était celle de savoir si un certain dessin ou modèle avait effectivement été divulgué au public au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002 (voir point 19 de cette dernière décision) et non celle invoquée par la requérante dans le cadre de son second moyen, par lequel, sans contester les faits de divulgation, elle fait valoir que la divulgation du dessin ou modèle contesté ne pouvait raisonnablement être connue des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. Il en découle qu’il n’existe pas de contradiction entre le raisonnement figurant dans la décision attaquée et l’approche retenue par la chambre de recours dans sa décision du 26 août 2013 quant à l’affaire R 1195/2011-3.
73 Enfin, quant à l’argument de la requérante selon lequel seule une divulgation « suffisamment étendue » fait obstacle à l’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, il suffit de relever que cette disposition ne prévoit aucun seuil quantitatif de connaissance effective des faits de divulgation.
74 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le second moyen.
75 Par conséquent, le recours doit être rejeté sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du chef de conclusions de la requérante visant à la confirmation de l’enregistrement du dessin ou modèle contesté et au rejet de la demande en nullité [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Aktieselskabet af 21. november 2001/OHMI – Parfums Givenchy (only givenchy), T‑586/10, non publié, EU:T:2011:722, point 67].
[…]

