The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR v. EUIPO, CJUE, 27 février 2024, C-382/21 P

CJUE, 27/02/2024, C-382/21 P
The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR v. EUIPO

Lien vers la décision (URL) :

https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=283244&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=112620

Apport de la décision :

La question était de savoir si une demande de dessin ou modèle communautaire peut revendiquer la priorité d’une demande PCT antérieure et si oui, quel est le délai de priorité applicable.

Le Tribunal de l’Union Européenne avait répondu par l’affirmative, en considérant que le délai de priorité applicable était de 12 mois (TUE, 3e Ch., 14/04/2021, T‑579/19, répertoriée ici https://jurisprudence-dm.cncpi.fr/jurisprudence/priorite-dun-brevet-invoquee-pour-le-depot-dun-modele-communautaire-delai-de-12-mois-convention-de-paris/).

La CJUE annule la décision du Tribunal de l’Union Européenne en appliquant le raisonnement qui suit.

Un droit de priorité ne peut être revendiqué que dans l’hypothèse où la demande ultérieure a « le même objet » que la première demande antérieure.

Il est possible de revendiquer la priorité d’une demande de modèle d’utilité dans le cadre du dépôt d’une demande de dessin ou modèle communautaire ultérieure, cette hypothèse étant expressément prévue par la Convention d’Union de Paris. Le délai applicable est alors de 6 mois, conformément aux dispositions de l’article 41§1 du RDMC.

Il n’est en revanche pas envisageable de revendiquer la priorité d’une demande de brevet dans le cadre du dépôt d’une demande de dessin ou modèle ultérieure, ces demandes n’ayant pas le « même objet » au sens de l’article 4 de la Convention d’Union de Paris.

Une demande PCT peut servir de base à une revendication de priorité d’un dessin ou modèle communautaire postérieur, mais uniquement en ce qu’elle peut aboutir à la délivrance d’un modèle d’utilité. Le délai applicable pour la revendication de priorité est alors de 6 mois.


Produits concernés : appareils et articles de gymnastique ou de sport

Images du modèle invoqué / dont la validité est en jeu :

Décision parue ou commentée dans :

https://ipkitten.blogspot.com/2024/03/cjeu-paris-convention-does-not-allow.html

https://blip.education/dessins-et-modeles-et-revendication-de-priorite-un-brevet-nest-pas-un-modele-dutilite


Texte (ou extrait) de la décision :

Sur le caractère clair et exhaustif de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002

73      D’une part, aux points 56 à 66 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, sur la base d’une interprétation de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 conforme à sa propre interprétation de l’article 4 de la convention de Paris, que cet article 41, paragraphe 1, comportait une lacune en ce qu’il ne fixait pas le délai dans lequel pouvait être revendiqué le droit de priorité fondé sur la demande internationale du 26 octobre 2017 déposée en vertu du TCB qu’il a qualifié de « demande internationale de brevet », et qu’il convenait de combler cette lacune en faisant application de cet article 4. D’autre part, aux points 70 à 86 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, considéré, sur la base de son interprétation dudit article 4, que ce délai était de douze mois, si bien que la chambre de recours de l’EUIPO avait considéré à tort que ledit délai était celui de six mois, fixé par ledit article 41, paragraphe 1.

74      Or, indépendamment du bien-fondé de l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 4 de la convention de Paris, il y a lieu de constater que celui-ci a commis une erreur de droit, en ce qu’il a manifestement outrepassé les limites d’une interprétation conforme de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et procédé, en réalité, à une application directe de cet article 4, tel qu’interprété par cette juridiction, au détriment du libellé clair de cet article 41, paragraphe 1, et en méconnaissance du caractère exhaustif de cette dernière disposition.

75      En effet, l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 prévoit que « [c]elui qui a régulièrement déposé une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle ou d’un modèle d’utilité dans ou pour l’un des États parties à la convention de Paris ou à l’accord instituant l’[OMC], […] jouit, pour effectuer le dépôt d’une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire […] d’un droit de priorité pendant un délai de six mois à compter de la date de dépôt de la première demande ».

76      Ainsi, il résulte de manière non équivoque du libellé clair de cet article 41, paragraphe 1, que, au titre de cette disposition, seules deux catégories de demandes antérieures, à savoir, d’une part, une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle et, d’autre part, une demande d’enregistrement d’un modèle d’utilité, sont susceptibles de fonder un droit de priorité au bénéfice d’une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire postérieure, et ce uniquement dans un délai de six mois à compter de la date de dépôt de la demande antérieure visée.

77      Il en résulte également que ledit article 41, paragraphe 1, a un caractère exhaustif et que la circonstance que cette disposition ne fixe pas le délai dans lequel peut être revendiqué le droit de priorité fondé sur une demande d’enregistrement d’un brevet est non pas une lacune dans ladite disposition, mais la conséquence du fait que celle-ci ne permet pas de fonder un tel droit sur cette catégorie de demandes antérieures.

78      Partant, d’une part, une demande internationale déposée en vertu du TCB est susceptible de fonder un droit de priorité, en application de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, uniquement pour autant que la demande internationale en question ait pour objet un modèle d’utilité et, d’autre part, le délai pour revendiquer ce droit sur le fondement d’une telle demande est celui de six mois, expressément fixé à cet article 41, paragraphe 1.

 

 Sur l’interprétation de la convention de Paris retenue par le Tribunal

79      S’agissant de l’interprétation retenue par le Tribunal, aux points 70 à 86 de l’arrêt attaqué, de l’article 4 de la convention de Paris, selon laquelle cette disposition permet de revendiquer la priorité d’une « demande internationale de brevet » antérieure lors du dépôt d’une demande de dessin ou modèle postérieure dans un délai de douze mois, il convient de relever que cette interprétation est également entachée d’erreurs de droit.

80      D’emblée, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où les règles énoncées par certains articles de la convention de Paris, dont l’article 4 de celle-ci, sont incorporées dans l’accord ADPIC, lequel a été conclu par l’Union et fait partie intégrante de l’ordre juridique de celle‑ci, la Cour est compétente pour interpréter ces règles (voir, par analogie, arrêts du 14 décembre 2000, Dior e.a., C‑300/98 et C‑392/98, EU:C:2000:688, points 33 à 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 2 septembre 2021, République de Moldavie, C‑741/19, EU:C:2021:655, point 29 et jurisprudence citée).

81      À cet égard, il importe de relever que l’article 4, section A, paragraphe 1, de la convention de Paris prévoit que le bénéficiaire du droit de priorité est celui qui aura régulièrement fait le dépôt d’une demande de brevet d’invention, d’un modèle d’utilité, d’un dessin ou modèle industriel, d’une marque de fabrique ou de commerce, dans l’un des pays partie à cette convention et que ce droit de priorité est reconnu aux fins de permettre à ce bénéficiaire d’effectuer le dépôt dans les autres pays auxquels s’applique ladite convention.

82      En outre, il ressort de l’article 4, section C, paragraphes 1, 2 et 4, de ladite convention que, en principe, seule une demande postérieure ayant le « même objet » qu’une demande antérieure peut bénéficier du droit de priorité et que les délais dans lesquels ce droit peut être exercé sont déterminés en fonction du type de droit de propriété industrielle concerné, ces délais étant fixés à douze mois pour les brevets d’invention et les modèles d’utilité et à six mois pour les dessins ou modèles industriels.

83      Ainsi que l’indique également le guide d’application de la convention de Paris, document interprétatif élaboré par l’OMPI qui, bien qu’étant dénué de portée normative, contribue cependant à l’interprétation de cette convention (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05, EU:C:2006:764, point 41), il résulte donc d’une lecture combinée des sections A et C de l’article 4 de ladite convention que la demande postérieure doit avoir trait au « même objet » que la demande antérieure constituant la base du droit de priorité.

84      Enfin, si l’article 4, section E, de la convention de Paris admet qu’un même objet est parfois susceptible de bénéficier de plus d’une forme de protection, de telle sorte qu’un droit de priorité peut être invoqué pour une forme de protection différente de celle demandée antérieurement, cette disposition énumère toutefois de manière exhaustive les hypothèses dans lesquelles cela peut se produire. Plus particulièrement, ladite disposition prévoit, à son paragraphe 1, qu’une demande de modèle d’utilité peut donner lieu à un droit de priorité pour une demande de dessin ou modèle, dans le délai fixé pour les dessins ou modèles, à savoir six mois, et, à son paragraphe 2, qu’une demande de brevet peut donner lieu à un droit de priorité pour une demande de modèle d’utilité et inversement.

85      Dans ces conditions, l’article 4 de la convention de Paris ne permet pas de revendiquer la priorité d’une demande de brevet antérieure lors du dépôt d’une demande de dessin ou modèle postérieure, et donc, a fortiori, ne prévoit pas de règles relatives au délai imparti au déposant à cet effet. Ainsi, seule une demande internationale déposée en vertu du TCB portant sur un modèle d’utilité est susceptible de donner lieu à un droit de priorité pour une demande de dessin ou modèle en vertu de cet article 4, et ce dans le délai de six mois visé à sa section E, paragraphe 1.

86      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le moyen unique du pourvoi et, partant, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il accueille la seconde branche du second moyen du recours en première instance et qu’il annule la décision litigieuse.

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